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Résumés des présentations des 4e RHO (20 et 21 janvier 2017)

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Résumés des interventions des 4es Rencontres d’histoire ouvrière de Saint-Étienne



Travail et monde ouvrier au temps de la Grande Guerre : le bassin stéphanois de 1910 à 1925



Michelle Zancarini-Fournel : « Ouvriers, ouvrières et politique patronale : l’entreprise Mimard pendant la Première Guerre mondiale »

Après un bref rappel de l’histoire du développement de la Manufacture des armes et cycles de Saint-Étienne – la MFAC, « chez Mimard » comme on dit ici -, la communication se propose de faire un état des lieux du personnel en juillet 1914 et d’examiner ensuite les transformations dues à la guerre. Avec l’emploi des mobilisés, Étienne Mimard doit partager son autorité patronale avec le contrôleur de la main-d’œuvre militaire et appliquer la politique du gouvernement à propos des usines de guerre. Étienne Mimard joue un rôle majeur dans la négociation du bordereau de salaires en juin 1917 (premières conventions collectives tripartites : représentants des syndicats, des patrons et de l’État) comme de son application. Avec le changement de gouvernement, la MFAC est confrontée, comme les autres entreprises, aux mouvements de grève générale en décembre 1917 et mai 1918, ce qui n’empêche pas un développement de l’entreprise avec la construction de nouveaux locaux rue Lassaigne et la réorganisation du travail autour d’un Atelier central. Mimard inaugure par ailleurs une politique qu’il poursuit dans l’entre-deux-guerres : il applique avec beaucoup de lenteur les décisions gouvernementales et nous le constaterons à propos de la pouponnière et de la chambre d’allaitement du fait des très nombreuses femmes employées dans l’entreprise pendant la guerre de 1914-1918.L’immédiat après-guerre est marqué par les conflits avec le syndicat (grève de 1920) et la discussion sur les bénéfices de guerre minorés avec constance.

Antoine Vernet : « Patron charitable et patron de combat. L’action de Joseph Leflaive aux usines de la Chaléassière (1898-1926) »

Les usines stéphanoises de la Chaléassière comptent parmi les principaux fournisseurs stéphanois de l’armée durant la Première Guerre mondiale. Elles présentent un terrain favorable pour l’étude des relations entre patronat et monde ouvrier au cours de cette période. La contribution vise à mettre en perspective l’action industrielle et sociale de leur dirigeant Joseph Leflaive, un patron investi pour l’expansion de sa compagnie, profondément chrétien et soucieux de son autorité, et le renouvellement des formes de conflictualité ouvrière, du syndicalisme de métier aux actions menées par les "minoritaires" puis par les "unitaires", qui n’épargnent pas les ateliers de "chez Leflaive".

Luc Rojas : « Entre recomposition temporaire et intensification de la production : le travail dans les houillères stéphanoises (1914-1918) »

Situé loin du front, le bassin houiller stéphanois profite rapidement des combats de la Première Guerre mondiale pour accroître considérablement sa production et participer activement à l’effort de guerre. Cependant, le début des hostilités est d’abord synonyme pour les charbonnages de désorganisation et de mobilisation des ouvriers. Ainsi les premiers mois marquent un ralentissement important de la production. Lorsque le conflit réclame une mobilisation industrielle de tous les instants, les charbonnages ont de grandes difficultés à embaucher des ouvriers capables de remplacer ceux partis au front. Ces nouveaux recrutés posent de nombreux problèmes aux houillères : instabilité, savoir-faire inadapté, concurrence des autres industries. D’autant que le travail à la mine est bien loin de la taylorisation et de la modernisation en vogue avant guerre. Les besoins en charbon de la Défense nationale et la pérennisation des exploitations obligent les houillères à utiliser des techniques d’exploitation très anciennes. Ainsi les affleurements des couches sont mis en valeur le plus rapidement possible engendrant des conditions de travail à mille lieues de la situation d’avant guerre. Les ouvriers nouvellement embauchés connaissent donc des conditions de travail difficiles où seule l’augmentation du nombre d’heures travaillées peut engendrer une augmentation de la production.

Georges Gay : « De l’invisibilité de la laceteuse à l’affirmation de l’ouvrière textile (1850-1920) »

L’industrie des tresses et lacets qui se développe à Saint-Chamond et dans les communes voisines à partir de la fin de l’Empire est d’emblée marquée par l’emploi d’une main d’œuvre très majoritairement féminine et par des modalités de mobilisation de celle-ci caractérisées par l’usage de l’usine pensionnat héritée du moulinage. Ce dispositif permet de compenser par la longueur de la journée de travail, la faible productivité d’un matériel dont la conception a privilégié la limitation de l’investissement au détriment de l’efficacité. Même si le personnel affecté à la surveillance des métiers n’a jamais représenté plus du tiers de la force de travail employée par l’industrie des tresses et lacets, le maintien des conditions de son emploi représente un enjeu majeur pour le patronat. Il en résulte la construction d’un argumentaire et, par delà, une forme de discours ritualisé, repris très souvent sans critique par les observateurs de cet univers industriel, qui érige la laceteuse en une sorte de mythe social racontant l’activité, qui fait écran à la réalité des rapports sociaux qui la sous-tendent.
Les contradictions traversant le milieu de l’industrie des tresses et lacets, générées par son fort développement après 1860, ainsi que les progrès de la législation sociale sous la Troisième République contribuent à l’effritement du mythe. La réalité sociale de l’ouvrière textile, dans toute sa diversité, s’affirme à travers les conflits sociaux qui se multiplient à partir de la fin du XIXe siècle autour de la question de la réglementation de la durée du travail. Bousculant l’allégorie désincarnée, se manifestent alors des êtres de chair et de sang animés par les préoccupations du quotidien. Ce faisant se dévoilent pleinement l’horizon des rapports de genre sur lequel s’inscrit le rapport salarial, subvertissant de la sorte le discours consensuel sur la laceteuse sans pour autant cependant remettre en question la double domination, patronale et masculine. Les patrons du lacet persistent à jouer de leur pouvoir sur des femmes qu’ils manipulent et instrumentalisent au profit de leurs intérêts leurs revendications.
L’éclatement du premier conflit mondial bouleverse la donne. Les immenses besoins de la défense nationale ouvre l’usine métallurgique aux femmes qui en étaient alors très largement exclues. L’industrie du lacet perd de la sorte son monopole d’embauche et se voit dans l’obligation de composer avec une main d’œuvre qui commence à s’organiser et à imposer comme interlocuteur incontournable l’organisation syndicale. Par ailleurs le développement de la législation sociale introduit une normalisation du rapport salarial qui inscrit les travailleuses du lacet dans un statut qui ne se résume pas à une identité collective indifférenciée d’ouvrière du lacet. Au lendemain de la Première Guerre mondiale la figure mythique de la laceteuse a définitivement volé en éclat.

Jean-Paul Martin : « Laurent Moulin : le parcours singulier d’un ouvrier chambonnaire, du syndicalisme révolutionnaire à l’Algérie »

Le parcours idéologique et géographique de Laurent Moulin (1885-1975), fondé sur une autobiographie rédigée en 1968-69, reflète l’évolution singulière d’un militant de base, autodidacte, pour qui le pacifisme de guerre a été une expérience centrale. Eveillé à la conscience sociale au Chambon-Feugerolles par son père, et à l’amour du savoir par l ‘école laïque, il fut un militant socialiste de la toute jeune SFIO avant de devenir un libertaire. Il fut surtout l’un des animateurs les plus solides d’un mouvement syndical de masse chez les métallurgistes de l’Ondaine, à la grande époque du syndicalisme révolutionnaire. De retour à Saint-Etienne après un bref exil forcé en région parisienne, il y mène avant et pendant la guerre de 1914-1918, une vigoureuse action contre la guerre, dans laquelle son idéal libertaire ne sera nullement entamé par la séduction du bolchevisme. Parti en Algérie en 1919, où il ne cesse d’être ouvrier, il en reviendra en 1962 lors de l’indépendance, ce long intermède ayant servi en somme à épurer son idéal libertaire, qui est resté pour lui, « le sel de la terre ».

Daniel Durand : « Les grèves de mai 1918 dans la Loire : d’une histoire singulière aux questionnements généraux »

Les grèves du 19 au 26 mai 1918 dans la Loire et particulièrement dans le bassin stéphanois, sont souvent superposées, voire globalisés avec la grève du 1er mai qui vit l’arrestation de plusieurs ouvriers aux Aciéries Verdié à Firminy. À partir de l’histoire particulière de certains de ces grévistes, que l’histoire a bien oubliés, l’auteur tire des fils qui re-questionnent les raisons profondes, les spécificités, les limites et le retentissement inattendu de ce « mai pacifiste » ligérien en 1918.

Jean-Michel Steiner : « Ouvriers, syndiqués et syndicats du bassin stéphanois à l’épreuve de la Grande guerre (1911-1918) »

Vieille terre d’industrialisation avec une culture syndicaliste enracinée dans plusieurs décennies de luttes ouvrières, la région stéphanoise devient pendant la Grande guerre un des épicentres de la contestation sociale. Le conflit bouleverse les données antérieures. Arsenal de la France le bassin concentre un nombre inédit d’ouvriers mobilisés en usine, le recours à la main d’œuvre féminine et étrangère est massif. Que devient le syndicalisme stéphanois dans une conjoncture marquée par des conditions de vie souvent indignes, les lacunes du ravitaillement, le poids de la discipline dans les entreprises, la chape de la censure, la guerre qui s’éternise ? Partant des travaux antérieurs la communication explore les procès-verbaux de la commission administrative de la Bourse du Travail de Saint-Étienne à la recherche des conséquences du conflit et des signes annonciateurs de la scission de l’après-guerre.

Maurice Bedoin : « De la guerre à la guerre sociale ? Mineurs, métallos et cheminots en grève (1919-1920) »

En 1919-20, la région stéphanoise est connue par l’ampleur des conflits ouvriers qui l’agitent par roulement continu. Lors du 1er mai 1919, les travailleurs qui viennent d’obtenir la journée de travail de 8 h, s’imaginent désormais que le rapport de force tourne en leur faveur et que le grand soir ne saurait tarder. En fait toutes les grèves de mineurs, de métallos et de cheminots qui ponctuent ces deux années, à partir de juin 1919 aboutissent presque toutes à de sévères échecs, ouvrant de larges fractures dans le monde ouvrier. Le mouvement syndical ressort de la période profondément désorganisé, c’est à Saint-Étienne qu’a lieu le 1er congrès de la CGTU, le 25 juin 1922.

Jean-Paul Bénetière : « Origines et premier développement de la CFTC dans le bassin stéphanois de 1887 à 1925 »

Parmi d’autres œuvres catholiques, le Syndicat des Employés Catholiques du Commerce et de l’Industrie, constitué uniquement d’employés, est créé en 1887 pour lutter contre un syndicalisme anticlérical et partisan, de la « lutte des classes ». Il fut à l’origine de la création de la CFTC en novembre 1919.
Dans la CFTC des années 1920, l’UD de la Loire présente une physionomie particulière : plus grande autonomie par rapport à l’Eglise, participation aux grèves. Cette originalité tient à la présence dans la direction de l’UD à cette époque de militants qui veulent se battre pour les revendications des travailleurs et pas contre la CGT.

Henry Destour : « 1919 - 1924, émergence de nouvelles modalités d’organisation du mouvement ouvrier dans le bassin stéphanois : continuité ou table rase du passé ? »

Le syndicalisme révolutionnaire apparaît en Europe et aux Etats-Unis avec le vingtième siècle. Il prône la révolution sociale, autrement dit l’abolition de la propriété privée et du salariat au moyen de la grève générale insurrectionnelle. Son développement est variable selon les pays, mais toujours significatif, même là où la social-démocratie encadre massivement la classe ouvrière. Avec la guerre, en 1914, le mouvement semble s’effondrer mais il se réveille en 1916. De 1917 à 1920, galvanisé par la révolution russe, il contribue largement aux épisodes révolutionnaires qui secouent l’Europe. On s’accorde à dater son reflux à partir de 1921 jusqu’à son éclatement de 1924 - 1925 qui laisse le quasi monopole du flambeau de la révolution sociale au mouvement communiste.
La Loire a joué un rôle important dans la renaissance de 1917-1918. En a-t-il été de même dans les années qui ont suivi ? Comment lire la trajectoire du syndicalisme révolutionnaire ? Derrière les ruptures existe-t-il une continuité ? Faut-il voir dans le paysage politique et syndical qui se dessine en 1924-1925, une résultante de circonstances événementielles - donc aléatoires - ou bien le nécessaire aboutissement de bouleversements structurels de la société capitaliste qui font disparaître des idéologies et des modes d’action devenus obsolètes ?

GREMMOS le 2017-01-16 16:14:02